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Peut-on parler de neutralité carbone à l’échelle de l’entreprise ?

Rédigé par La rédaction du C3D, le 20 juillet 2021

Alors que plusieurs pays enregistrent des records absolus de températures ces derniers jours, engendrant des évacuations massives et des déplacements de population, le GIEC alarme en parallèle sur de potentielles “retombées cataclysmiques” à venir pour l’humanité en lien avec le dérèglement climatique. L’urgence de lutter contre la crise climatique n’est plus à démontrer et L’Accord de Paris est clair sur le sujet : il sera nécessaire d’atteindre la neutralité carbone d’ici la deuxième moitié du 21ème siècle pour limiter le réchauffement sous la barre des 2°C.

Nombreuses sont les entreprises qui se mobilisent et se sont à ce titre appropriées la notion de neutralité carbone. Mais dans un avis publié en avril et précisé en juillet dernier, l’ADEME souligne notamment l’impossibilité pour une entreprise d’être neutre en carbone à son échelle. Explications. 

Neutralité carbone : de quoi parle-t-on exactement ?

Pour l’ADEME, la neutralité carbone consiste à “contrebalancer, à l’échelle du globe, toute émission de gaz à effet de serre (GES) issue de l’activité humaine par des séquestrations de quantités éguivalentes de CO2, c’est-à-dire leur maintien en dehors de l’atmosphère sur le long terme”. L’objectif à travers cette démarche est donc de trouver un équilibre entre le carbone émis et le carbone séquestré afin de stabiliser son niveau de concentration dans l’atmosphère, responsable du réchauffement climatique. Pour atteindre cette neutralité, il existe ainsi deux leviers : la diminution des émissions de GES et la séquestration de ces gaz. 

L’entreprise, dépendante de son environnement et de nombreuses parties prenantes, n’est aujourd’hui pas en mesure de nier l’impact que le réchauffement climatique aura sur son activité et sa pérennité. Du consommateur, de plus en plus sensibilisé aux enjeux de biodiversité et de pollution, aux pénuries de matières premières, les organisations sont et seront directement touchées par les effets de cette crise écologique mondiale. 

Alors, afin d’équilibrer leurs émissions de CO2, nombreuses sont les entreprises qui se lancent dans une démarche de compensation carbone. On parle de compensation carbone lorsqu’une organisation tente d’améliorer son impact environnemental en contrebalançant le carbone émis avec la mise en place d’actions visant à protéger l’environnement d’une façon ou d’une autre. Il est alors courant de parler de puits de carbone, les forêts par exemple, qui visent à stocker le carbone. Cependant, ce type de compensation à l’échelle de l’entreprise fait de plus en plus débat dans la mesure où elle connaît plusieurs limites notamment liées à la mise en œuvre. 

L’entreprise ne peut pas être neutre en carbone à son échelle

Pour l’ADEME, “l’objectif de neutralité carbone n’a réellement de sens qu’à l’échelle de la planète”.  En effet, le concept n’est pas directement transposable à une entreprise, un citoyen ou encore à un territoire et sa mise en œuvre doit être coordonnée de manière globale. Individuellement, les entreprises ne peuvent donc pas se revendiquer “neutres en carbone”. 

Le fait de chercher à appliquer la neutralité carbone à l’échelle de l’entreprise entraîne un ensemble de biais limitant les possibilités de parvenir à atteindre cet objectif dans les temps. Pour commencer, il n’est pas possible d’additionner l’ensemble des émissions des acteurs à une échelle réduite dans la mesure où cela ne prendrait en compte que les émissions directes. Pourtant, ce sont les émissions indirectes qui représentent une part importante des émissions totales et sur lesquelles il est urgent de cibler des actions de réduction. 

De la même façon, en réduisant l’échelle de comptabilisation des émissions, et donc d’action, le risque réside dans la création de fortes inégalités entre les territoires. En effet, une zone disposant d’un fort patrimoine forestier, offrant une meilleure compensation carbone, ne nécessitera pas une réduction des émissions aussi forte qu’une zone aride. 

Enfin, la recherche à échelle réduite d’un équilibre entre émissions émises et émissions compensées peut avoir tendance à pousser les acteurs à faire “au minimum” d’efforts une fois la neutralité carbone atteinte sur leur périmètre. 

Le réchauffement climatique dépassant la simple échelle locale, il doit être envisagé et affronté de manière globale.

Agir pour la neutralité carbone

Même si la neutralité carbone n’est en soi pas possible à l’échelle de l’entreprise selon l’ADEME, celle-ci peut, et se doit, d’agir en faveur de cette neutralité carbone envisagée de façon globale. Plusieurs leviers d’action s’offrent ainsi à elle :

  • Mettre en place une stratégie climat cohérente avec l’Accord de Paris comprenant la réduction des émissions directes, la consommation d’énergie par exemple, et indirectes, avec les transports notamment. En parallèle, cette stratégie doit intégrer une contribution à l’augmentation des puits de carbone.
  • Financer des projets de réduction et de séquestration permettant de contribuer à l’augmentation des puits de carbone.
  • Participer à la décarbonation de l’ensemble des parties prenantes et de la chaîne de valeur, c’est-à-dire à la fois des fournisseurs en aval et des clients lors de la consommation. Cela est notamment rendu possible en proposant des produits et services bas carbone. 

À l’échelle réduite, la neutralité carbone n’est pas scientifiquement envisageable. Individuellement, les acteurs économiques, entreprises, collectivités, territoires, citoyens… ne peuvent pas se revendiquer neutres en carbone. Ils peuvent cependant s’engager pour cette neutralité dans le cadre d’une stratégie cohérente avec l’Accord de Paris. Pour communiquer sur ce type d’engagement, il est important de tenir un discours transparent et d’éviter les formules abusives promettant une activité 100 % neutre en carbone.