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La loi AGEC : quelles adaptations pour le secteur textile ? 5 questions à Marc Jacouton, Directeur du développement durable et des relations extérieures chez Cepovett

Rédigé par La rédaction du C3D, le 15 mars 2022

La loi AGEC “anti-gaspillage pour une économie circulaire” est entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Elle marque notamment une étape importante pour la filière TLC (Textile d’habillement, Linge de maison & Chaussure), en imposant une optimisation du cycle de vie des produits : favoriser le réemploi, allonger la durée de vie des produits, intégrer un taux minimal de matière recyclée dans les produits, préférer le don à la destruction, ne plus jeter, ne plus gaspiller…

Face à cette loi, comment s’adapter en tant qu’entreprise ? Retour d’expérience avec Marc Jacouton, membre du C3D et Directeur du développement durable chez Cepovett, Industriel textile et un des leaders français du vêtement professionnel. 

En tant qu’entreprise textile, comment réagissez-vous à la loi AGEC ?

Pour le contexte, Cepovett est une PME familiale, et pour notre part nous avons adopté une démarche et des solutions volontaires depuis des années. Notre réflexion sur l’intégration de matières alternatives dans nos produits, vêtements de travail et équipements de protection est arrivée bien avant la loi. L’impact sur l’ensemble du cycle de vie est un sujet très important pour nous. Depuis plusieurs années nous avons inscrit nos vêtements professionnels dans une démarche d’éco et socio-conception. Par exemple avec le polyester recyclé, qui apporte de la résistance à nos tissus et répond à un besoin de longévité du vêtement en lui-même. Cela est d’autant plus important que l’utilisation de nos vêtements se fait dans des environnements de travail très exigeants, donc souvent agressifs pour la matière. En soi le polyester n’est pas un choix par plaisir mais correspond tout simplement à des besoins techniques, de résistance et d’acceptabilité économique.

Nous sommes actuellement à notre 3e plan RSE, et ces engagements étaient déjà présents dans le 2e plan, donc ils existent depuis 10 ans. Non seulement nous sommes prêts face à cette loi mais nous l’avions déjà anticipé ! Cela va dans le sens de l’histoire.

Ce qui est nouveau, c’est du côté de la commande publique. Par exemple, nous fournissons depuis des années la Ville de Paris en équipements, et elle a aussi anticipé ce genre de loi. Mais cette loi oblige toutes les collectivités à commander à minima 20% d’équipements recyclés ou issus du réemploi, donc c’est un changement d’échelle intéressant qui est en train de s’opérer. Il y a toujours eu des pionniers, des collectivités vertueuses, mais cette réglementation va accélérer les choses, et probablement pour des petites collectivités. Cela permettra sans doute de faire prendre conscience des enjeux de circularité. 

Comment gérez-vous la fin de vie de vos produits ?

C’est un engagement mature également pour nous, nous sommes déjà engagés dans des démarches d’éco-conception où la vie de nos produits textiles prend une place centrale. Le sujet a été abordé en interne dès 2014, sans réglementation à l’époque. Nous produisons environ 10 millions de vêtements par an, on ne peut pas ne pas apporter de solutions concernant la fin de vie des produits à nos clients ! Plus globalement l’entrée en application de la Responsabilité Élargie du Producteur (REP)  permettra de mutualiser l’effort, d’innover avec de nouvelles solutions, de réduire les stocks d’invendus pour faire des déchets de nouvelles ressources.

Nous utilisons du polyester recyclé (RPET), du coton régénéré, de la viscose bio-sourcée et beaucoup d’autres matières alternatives… et nous sommes aussi apporteurs  de solutions. Il y a une notion de services en plus du produit pur. Nous avons par exemple une offre packagée de “Box textile” vendue à nos clients : nous assurons toute une logistique de la fin de vie des vêtements, et une voie de valorisation auprès d’eux, avec une garantie de destruction et de traçabilité.

Nous proposons un programme de recyclage avec plusieurs solutions de revalorisation : isolants phoniques pour l’habitat par exemple, ou du combustible solide de récupération (CSR) : de la fibre non triée, mélangée à du plastique qui peut devenir un combustible pour les cimenterie et chaudières industrielles.

Pour nous, le summum est d’être capable à terme de refaire un vêtement professionnel 100% à partir d’un vêtement professionnel, en boucle fermée (car pour l’instant il y a des défis techniques à relever pour rendre cette innovation économiquement acceptable). Un vêtement professionnel circulaire en soi est une quête. Le processus est déjà en cours, nous avons déjà fait des pilotes avec nos clients grands compte, comme Accorhotels ou Nespresso. Nous développons cela avec des partenaires industriels européens sur toute la chaîne de valeur de la filière textile. 

Mais il faut dire ce qui est : à l’heure actuelle le coût est élevé, il y a donc une notion d’acceptabilité économique ! De la part des clients mais aussi du consommateur en bout de chaîne. Pour nous il faut axer sur le fait qu’un vêtement doit nativement durer longtemps, la notion de durabilité est un levier mais c’est aussi tout simplement la raison d’être d’un vêtement professionnel.

La loi AGEC va-t-elle impliquer un changement de business model ?

Clairement la réglementation va avoir un effet d’entraînement et permettre d’augmenter le volume : un changement d’échelle de l’économie circulaire, et donc d’innovations. Il y a pour l’instant un surcoût de la matière recyclée, mais à l’origine c’est surtout la matière première conventionnelle qui n’intègre pas toujours le juste prix écologique, social… ne serait-ce que pour le coton. D’autant que certaines matières comme le polyester (PET) peuvent être recyclées à l’infini, contrairement au coton. 

C’est donc intéressant au niveau du gisement de matière, et cela peut sans doute devenir un standard, même si ce ne sera pas immédiat. Chez certains de nos clients, plus de 90% des articles de la collection intègrent déjà des matières alternatives, notamment des fibres recyclées ! Je pense que post-covid cela va aussi accélérer cette notion de circularité, en se rendant compte de l’importance des matières et de l’éthique. Donc oui cela apportera sans nul doute sur le moyen-long terme des modifications de modèle. 

Comment dans ce cas embarquer ses équipes, l’interne, dans ces évolutions ?

Cela reste un combat quotidien ! Prenons le coton bio : il y a aujourd’hui un déséquilibre entre l’offre et la demande  donc cela amène une hausse très importante des prix car il faut plus de 3 ans de conversion vers une culture biologique du coton. Donc cela pose indéniablement des problèmes d’acceptabilité économique et de délais d’approvisionnement. Même quand l’économie circulaire est au cœur de nos ambitions, c’est le client, en relation avec nos équipes, qui fait le cahier des charges. Donc s’il n’est pas prêt à payer le juste prix de la matière recyclée, c’est ainsi.

On revient donc à la responsabilité élargie du producteur, et couplée à la loi AGEC cela aura le bénéfice d’imposer des normes. Mais en interne, cela signifie beaucoup de formations, de pédagogie, d’assistance des acheteurs. Il y a d’ailleurs une demande de la part de nos équipes commerciales pour mieux accompagner les clients dans ces évolutions dans une logique de co-construction. 

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises textiles ?

Il faut impérativement s’appuyer sur ses fournisseurs stratégiques, sur ce qui a déjà été fait, construire des projets pilotes et oser avancer avec les pionniers de la circularité.  C’est également important de considérer l’achat textile comme un simple achat de fournitures consommables ! Il faut accepter de raisonner l’usage, de repenser la durabilité et la fin de vie des produits. Donc cela veut dire réinterroger sa façon d’acheter et de se fournir, et analyser le coût complet du vêtement professionnel. 

Mais on sait bien que le problème vient aussi du gaspillage et de l’usage, donc il faut se pencher sur l’efficience du vêtement, les solutions de réemploi, de réparation, donc in fine d’innovation produit-service. Nous sommes ici dans des problématiques qui nous obligent à repenser l’amont et l’aval de notre métier, dans un contexte de changement d’échelle qui s’impose. Donc forcément beaucoup d’entreprises voient cela comme une contrainte, mais c’est aussi une opportunité de mettre plus d ‘éthique dans son business model.

Pour moi c’est clairement le sens de l’histoire, cela va nécessairement progresser, et il faudra voir sur le moyen terme la jurisprudence, la contrainte imposée pour les organisations qui ne respectent pas la loi et à quel point cela va inciter au changement. Pour Cepovett, notre chantier concerne nos emballages plastiques à usage unique (packaging et conditionnement de nos produits) et leur durabilité et quelles solutions de substitution; car il y a urgence à protéger la ressource eau, les océans et la biodiversité marine… bref le vivant dans son ensemble !