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L’eau, la variable oubliée de l’économie ? Retour sur la conférence de Charlène Descollonges.

Rédigé par La rédaction du C3D, le 3 avril 2024

L’eau est un sujet d’une importance capitale. Cependant, l’eau est souvent reléguée au second plan. Découvrons ensemble les enjeux liés à l’eau et le rôle de l’entreprise pour refonder notre rapport à l’eau.

Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue, experte des sujets de gestion stratégique et la gouvernance de l’eau pour les collectivités locales et cofondatrice de l’association Pour une Hydrologie Régénérative, nous a expliqué en quoi l’eau est la variable oubliée de l’économie, à l’occasion de la troisième édition du cycle de conférences Le Sens & L’Action du C3D.

Prélèvements et consommations d’eau douce en France

Tout d’abord, il est essentiel de souligner que seulement 3% de l’eau sur terre est de l’eau douce. Une grande partie de cette eau douce est sous état solide avec les calottes glaciaires et glaciers (68 %). Une partie non négligeable est sous état liquide avec les eaux souterraines (32 %). Cependant les sources d’eau douce de surface, comme les rivières et les lacs, représentent moins de 1% de la quantité totale d’eau. Une grande partie de l’eau douce est donc peu directement accessible.

Que représente le prélèvement de l’eau douce en France ? Sa consommation ? A noter, que l’eau prélevée comprend l’eau consommée et celle restituée au milieu naturel après son usage.

En France, l’eau prélevée représente 35 milliards de m3 par an. Plus de la moitié de l’eau douce (53 %) est prélevée pour la production d’énergie, principalement pour le refroidissement des centrales nucléaires. Ensuite, l’eau est prélevée pour la consommation domestique (16 %), les canaux (15,4 %), l’agriculture (8,5 %) et enfin l’industrie (7,1 %). Alors qu’au niveau mondial, le prélèvement principal de l’eau est dû à l’agriculture.

Contrairement à l’eau prélevée, en France, l’eau consommée représente 5 milliards de m3 par an. En évoquant l’eau consommée en France, c’est l’agriculture, le secteur le plus consommateur d’eau (52 %). Ainsi l’eau utilisée pour l’irrigation agricole est généralement consommée par les cultures et ne retourne pas dans les écosystèmes, c’est considéré comme “de l’eau perdue”. En deuxième position, nous retrouvons la consommation d’eau potable (29,7 %), tandis que les centrales électriques (13 %) et les industries (4,4 %) en consomment également des quantités non négligeables.

L’eau, une limite planétaire déjà franchie

Parmi les 9 limites planétaires, l’une concerne l’eau. En 2022, des mesures ont été prises pour évaluer l’eau verte et l’eau bleue.

  • L’eau bleue comprend les eaux de surface telles que les fleuves, les rivières et les nappes phréatiques.
  • L’eau verte se trouve dans les sols et est utilisée par les plantes pour leur croissance.

Cependant, ces études ont révélé que cette limite planétaire est déjà franchie !

Quel lien entre la déforestation et l’eau ?

Il est important de noter que deux tiers des précipitations à l’échelle mondiale proviennent de l’eau verte, provenant principalement des forêts, qui agissent comme des sources de pluie.

La déforestation affecte non seulement la biodiversité, le climat mais aussi le cycle de l’eau. La déforestation est ainsi devenue un enjeu géopolitique majeur, notamment en raison de son impact sur les schémas de précipitations et de pluies dans d’autres régions du monde. Par exemple, les activités de déforestation en Amazonie ont des répercussions sur des pays comme … l’Argentine.

Comment le réchauffement climatique impacte-t-il le cycle de l’eau ?

Il existe un lien fort entre cycle de l’eau et cycle du climat. Par exemple, une des conséquences du réchauffement climatique est l’augmentation moyenne des températures, qui entraîne une évaporation accrue, exacerbant les sécheresses et réduisant les niveaux des nappes phréatiques.

Outre les sécheresses météorologiques, les sécheresses hydrologiques, agricoles et écologiques entraînent des conséquences environnementales majeures comme la mortalité des arbres, des incendies, la perte d’habitats, l’érosion, une qualité d’eau amoindrie, mais également des conséquences socio-économiques et sanitaires comme des mauvaises récoltes, la mortalité du bétail, des pénuries d’eau, une énergie hydraulique en baisse ….

Or de nombreux secteurs dépendent de cet “or bleu” comme le tourisme, l’industrie ou l’agriculture.

Source : IPCC AR6 WGI Figure 8-6

 

L’accès à l’eau doit-il être vu comme un droit humain ou être financiarisé ?

À l’échelle mondiale, l’eau est souvent considérée comme un bien commun, auquel il convient de garantir l’accès, afin de répondre aux besoins les plus essentiels. Cependant en France, l’eau est généralement perçue comme une ressource, ce qui peut conduire à son exploitation et à sa privatisation. D’ailleurs le 7 décembre 2020, l’eau a été introduite à la Bourse de Chicago, ce qui a ouvert la possibilité de sa marchandisation.

En France, les juristes se questionnent sur l’idée de donner des droits aux rivières et aux fleuves et se demandent quel impact cela pourrait avoir. Cette réflexion est abordée par Bruno La Tour dans le livre “Le Fleuve qui Voulait Écrire” de Camille de Toledo. Cette reconnaissance de droit permettrait de mieux protéger ces ressources en eau et les écosystèmes associés.

Si cette notion reste essentiellement théorique en France, ce n’est pas le cas dans d’autres parties du monde. En Équateur, les droits de la nature sont inscrits dans la constitution depuis 2008. En Colombie, en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie, les habitants ont également un lien d’attachement particulier avec leur cours d’eau.

 

💡LE SAVIEZ VOUS ? 

Les guerres de l’eau nourrissent certains récits dystopiques. Cependant, la Journée mondiale de l’eau, célébrée le 22 mars, est symbolisée par un désir de paix. Bien qu’il puisse y avoir des conflits, l’eau devrait être un moyen de dialogue, qui devrait favoriser la construction de ponts plutôt que de barrages ! Ainsi, l’eau devrait être envisagée comme un lien de paix plutôt qu’un outil de guerre.

 

Nous mangeons de l’eau (verte)

Nous consommons de l’eau à travers notre alimentation, en France, cette consommation d’eau moyenne par jour atteint 4 900 litres par habitant, tandis que la moyenne mondiale est de 2 500 litres par habitant. Cette disparité est directement liée à nos choix alimentaires. Plus notre alimentation est riche en produits carnés, en particulier la viande rouge, plus notre consommation d’eau est élevée. La culture du maïs est l’une des activités les plus consommatrices en eau, alors que cette culture est principalement destinée à l’alimentation animale. Cela souligne la nécessité de revoir nos modèles alimentaires et agricoles.

L’eau dans les processus industriels

La réutilisation de l’eau dans les processus industriels est souvent considérée comme une solution. Cependant cette réponse est à nuancer car les besoins en eau sont toujours présents. Même l’utilisation d’eaux non conventionnelles telles que l’eau de pluie ou l’eau grise (eaux usées domestiques faiblement polluées issues des lavabos, des douches, des machines à laver le linge ou la vaisselle et des éviers) nécessite de l’énergie pour son traitement.

Au cours des trente dernières années, le secteur industriel a réalisé des économies d’eau significatives, mais cela a également accompagné une tendance à la délocalisation.

 

💡LE SAVIEZ VOUS ? 

Le projet de mine de lithium dans l’Allier suscite un débat public important, soulevant des questions sur la souveraineté énergétique et les impacts potentiels sur l’eau et la biodiversité aquatique.

 

Pistes de solution : débat public et hydrologie régénérative

La préservation de l’eau nécessite une approche holistique, intégrant des initiatives privées et publiques, comme l’assemblée populaire du Rhône. Durant deux ans, un groupe de 25 résidents du bassin versant du Rhône, sélectionnés au hasard en France et en Suisse, a été chargé de mener une enquête sur leur région et de concevoir une nouvelle forme de gouvernance en collaboration pour et avec le fleuve et ses habitants.

De même, des concepts tels que l’hydrologie régénérative, visent à ralentir, répartir et infiltrer les eaux de pluie, mais aussi densifier la végétation multifonctionnelle, cultivée ou non. Cette hydrologie régénérative peut contribuer à améliorer la résilience des écosystèmes face aux risques de sécheresses, érosions, canicules, inondations, effondrement de biodiversité…

L’objectif de l’hydrologie régénérative est donc de favoriser la création d’eau bleue via :

  • le cheminement de l’eau
  • la qualité des sols
  •  les arbres

 

💡LE SAVIEZ VOUS ? 

Les écosystèmes telles que les zones humides fournissent de nombreux services gratuits. Si l’on reconnaissait la valeur de leur rôle épurateur, cela équivaudrait à une économie annuelle de traitement de l’eau potable estimée à 2 000 euros par hectare et par habitant ! Ces zones sont ainsi riches en biodiversité, absorbent les excès d’eau (stockant ainsi du carbone) et contribuent à la fertilité des sols. Par conséquent, leur restauration et leur protection sont essentielles. Les marais salants et les tourbières sont des exemples de ces écosystèmes !

 

Mesurer l’eau ?

Pour la première fois, il est obligatoire de mesurer et quantifier l’impact des activités d’une entreprise donnée sur l’eau, grâce à la CSRD. Dans ce contexte, sont abordées les notions de handprint et de waterfootprint. Le handprint représente ainsi la possibilité d’avoir un impact positif sur l’eau, permettant aux entreprises de contribuer à la régénération des hydrosystèmes.

Il est cependant complexe d’évaluer son “empreinte eau” globale, en particulier en ce qui concerne la pollution qui peut affecter les ressources en eau. D’ailleurs, la pollution présente dans les nappes peut persister jusqu’à 100 ans. En France, 3 rivières sur 4 sont polluées par le glyphosate !

L’eau est un élément fondamental de la vie sur Terre, mais son importance est souvent sous-estimée dans les discussions géo- et socio-économiques. Pourtant, la gestion responsable de cette ressource est essentielle ! La raréfaction de cette ressource essentielle entraîne d’ailleurs déjà des conflits d’usage, notamment dans les secteurs de l’agriculture et du tourisme. Les pratiques telles que l’utilisation de méga bassines pour l’agriculture, de canons à neige pour l’industrie des sports d’hiver et l’afflux touristique sur les côtes perturbent l’approvisionnement en eau. 

Ainsi, en reconnaissant l’eau comme une variable économique cruciale et en mettant en œuvre des politiques et des pratiques durables, nous pouvons garantir sa disponibilité pour les générations futures. 

Vous pouvez retrouver le replay Youtube de cette conférence ici.