Article

La durabilité comme levier de performance économique : quand le luxe s’engage

Rédigé par La rédaction du C3D, le 2 novembre 2020

La Fashion Tech Week s’est tenue mi octobre sous le signe de la mode et de l’environnement. Un enjeu non négligeable puisque la mode représentait 10 % du total des émissions de CO2 dans le monde en 2019. Les impacts environnementaux de la production et du transport sont considérables et font de ce secteur le deuxième plus polluant au monde. Si le luxe ne représente qu’une petite part de la totalité de l’industrie de la mode (de 5 % à 10 %), il constitue un levier de transformation pour le secteur car il peut être à l’origine de l’évolution des consciences et ainsi favoriser le changement. Il s’agit ainsi d’un enjeu prédominant pour le secteur de la mode et du luxe qui s’avère grandement critiqué par les ONG et scruté par des consommateurs de plus en plus exigeants. De nombreuses marques se sont ainsi engagées pour un luxe plus durable à travers la signature du Fashion Pact notamment, réunissant près de 150 entreprises. La durabilité dans le secteur de la mode de luxe était auparavant considérée comme un argument marketing. Aujourd’hui, les marques le perçoivent bien plus comme une opportunité. Quid de la durabilité comme levier de performance économique dans le secteur du luxe. 

Un marché porteur : le luxe durable attire les consommateurs

La durabilité d’une marque ne tient plus d’une simple démarche marketing et communicationnelle désormais. Elle fait partie intégrante des stratégies de développement de nombreuses entreprises de luxe. Ce choix provient certainement d’une prise de conscience en interne mais doit également être mis en parallèle avec les nouvelles attentes des clients. Les marques de mode de luxe dépendent des grands magasins et de leur perception de l’évolution des attentes des consommateurs. 

Une enquête réalisée par McKinsey & Company pour la Camera Nazionale della Moda Italiana (CNMI) en 2018 auprès de 90 Responsables achats de Grands Magasins dans 25 pays révèle justement plusieurs changements dans le comportement d’achats des amateurs de luxe. Les produits durables représentent environ 26 % des achats par les grands magasins en Europe et sont voués à atteindre 42 % d’ici 3 ans. 

D’après les responsables interrogés, ces achats s’appuient sur la durabilité des matières, les conditions de travail et de production et non sur une question de réputation liée à la marque en elle-même. 25 % des acheteurs ont d’ailleurs déclaré avoir déjà supprimé de leurs références certains produits à cause de manquements liés à l’éthique et à la durabilité, une prise de position compréhensible vis-à-vis des consommateurs. Ils seraient en effet 78 % à souhaiter considérer à l’avenir l’impact sur l’environnement et l’éthique de la marque avant d’acheter un produit de luxe. Il s’agit de consommateurs mieux informés, très connectés et prêts à débourser 70 % de plus pour un produit durable, d’après les responsables achats interrogés dans l’enquête. 

Développer sa durabilité pour exister : les marques de luxe face aux attentes sociétales

La durabilité est rapidement devenue une valeur partagée par de nombreux acteurs de la mode de luxe, alors même qu’elle n’existait pas il y a 10 ans. Ce choix repose tant sur une prise de conscience que sur une volonté de survie. En effet, les entreprises ne prenant pas en compte les enjeux environnementaux au coeur de leur stratégie s’exposent à de nombreux risques. En cause : les attentes grandissantes des consommateurs qui scrutent le degré d’engagement et dénoncent le moindre faux-pas, à l’instar de l’application Clear Fashion, un Yuka de la mode qui vise à décrypter les étiquettes de vêtements à travers quatres critères : les conséquences sur la santé, le bien-être animal, l’humain et l’environnement. 

Les entreprises de la mode de luxe ne risquent pas seulement de perdre des clients déçus par le manque d’engagement d’une marque. Elles sont également soumises au marché financier, agences de notations et investisseurs, dont l’intérêt grandissant pour les thématiques de développement durable impacte la survie de ces marques. 

Enfin, les entreprises du luxe doivent évoluer pour survivre dans le sens où l’inaction face au changement climatique les desservirait grandement. Le réchauffement climatique a et aura un impact sur la qualité des matières premières utilisées dans le cadre de la production de produits de luxe. C’est une problématique similaire que l’on observe dans le cadre de la surexploitation de ressources non renouvelables. Leur disparition mènera à l’impossibilité de produire, donc d’exister.  

L’innovation au service du luxe durable

La prise en compte de l’urgence d’adopter de nouvelles pratiques pour les marques de luxe offre certes de l’espoir et une impulsion positive dans le secteur de la mode tout entier mais également des investissements dans les services de R&D. On observe ainsi diverses innovations mises en place afin de réduire l’impact de la conception et de la production sur l’environnement notamment. 

Burberry a par exemple choisi d’agir en amont de la production, lors de la conception, grâce à un logiciel permettant de modéliser la mise en place de motifs sur une pièce de vêtement. Ce logiciel inspiré de l’univers de gaming permet de gagner en efficacité mais également de réduire de deux tiers l’utilisation de papiers lors du dessin de design si l’on en croit la marque, un impact certes mineur mais qui a vocation à engendrer d’autres types d’innovations basées sur la réalité virtuelle offrant plus de durabilité. 

Kering a, pour sa part, choisi d’investir dans la biotechnologie afin de concevoir un cuir écologique et éthique puisque fabriqué intégralement en laboratoire, basée sur des cellules animales vivantes. D’ici l’année prochaine, le groupe de luxe compte également intégrer dans ses collections un cuir végétal conçu à partir de champignons. Une alternative peu consommatrice en eau et bien moins émettrice de gaz à effet de serre que le cuir animal ou même le cuir synthétique.

Enfin, sortons du secteur de la mode pour entrer dans celui de la joaillerie de luxe avec le joaillier Courbet qui a mis au point un diamant de synthèse. Cette pierre fabriquée en laboratoire possède toutes les caractéristiques du diamant, sans les impacts environnementaux et sociaux de son extraction, une démarche plus écologique et éthique donc. 

Le secteur du luxe n’a pas toujours été perçu comme compatible avec les enjeux de développement durable. Aujourd’hui, il n’a pas d’autre choix que de dépasser cette contradiction afin de maintenir son activité face à des consommateurs qui souhaitent avoir le sentiment de contribuer à un futur meilleur lorsqu’ils consomment du luxe. Ce secteur est grandement poussé à se réinventer et à investir dans la R&D afin de proposer des alternatives aux productions actuellement polluantes et pas toujours éthiques. Les marques de luxe y gagneront en image et en ventes en offrant au consommateur une forte justification éthique à son achat.