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Les dirigeants d’entreprises et la neutralité carbone : quel bilan ?

Rédigé par La rédaction du C3D, le 23 mars 2021

Ces derniers mois, de plus en plus d’entreprises dévoilent leurs objectifs de neutralité carbone à plus ou moins long terme. Depuis 2015, plus de 1100 entreprises ont pris des engagements zéro émission nette. Le but est à l’origine de viser une neutralité carbone à horizon 2050 comme le précise l’Accord de Paris et, pour ce faire, les entreprises françaises s’engagent à adapter leur stratégie et à prendre publiquement des engagements auprès des consommateurs et des actionnaires qui peuvent leur coûter cher s’ils ne sont pas respectés. Mais qu’en est-il réellement dans les faits ? 

Dans son étude “Les dirigeants d’entreprises face à la neutralité carbone : au-delà de la volonté, quelle réalité ?” publiée récemment en partenariat avec l’IFOP, le groupe Mazars a choisi de se concentrer sur le rapport à la neutralité carbone de plus de 400 dirigeants d’entreprises françaises, de toutes tailles et de tous secteurs. 

L’analyse révèle ainsi qu’en dépit des nombreuses annonces récentes des entreprises sur leur neutralité carbone à venir, ce sujet ne constitue une priorité que pour une minorité des dirigeants interrogés. Zoom sur les détails et les raisons de cet engagement mitigé. 

Neutralité carbone : les entreprises françaises déstabilisées

Une stratégie zéro émission nette (ZEN) repose sur “la transformation radicale des modes de production et de consommation”. À l’échelle de l’entreprise, ces changements impliquent des efforts considérables et s’apparentent à une forme de marathon selon Mathieu Mougard, Associé et responsable de la filière Énergie & Environnement de Mazars. Et pour ce marathon, les coureurs ne commencent pas sur la même ligne ni au même moment. En effet, moins d’un dirigeant sur deux s’est en effet lancé dans la course pour l’instant selon l’étude. Et ceux qui ont annoncé avoir établi une stratégie de neutralité carbone ne sont que 16 % à l’avoir matérialisée sous forme d’une feuille de route avec des étapes et indicateurs précis. 

Plus les entreprises sont grandes, plus leurs dirigeants se sentent concernés par la neutralité carbone

Le manque de moyens financiers et humains s’observe bien plus particulièrement au sein des petites structures, ce qui peut expliquer les écarts d’engagements entre ETI et TPE notamment. En effet, les dirigeants des grandes entreprises interrogés “jugent à 62 % l’objectif de neutralité carbone prioritaire”. Tandis que les dirigeants des petites entreprises ne sont que 46 % à le juger prioritaire. Cette différence peut cependant s’expliquer par l’existence des obligations auxquelles sont soumises les plus grandes entreprises et non les TPE quant à la mesure des émissions de CO2. 

Si l’on observe ces entreprises de plus près, on remarque que le secteur joue également un rôle prépondérant dans la façon dont le dirigeant conçoit l’objectif de neutralité carbone. Celles du secteur de l’énergie et de l’agriculture font effectivement partie de celles qui semblent vouloir s’investir le plus, pour 70 % d’entre elles. Contrairement au secteur industriel dont les entreprises ne sont que 31 % à considérer ce sujet comme étant prioritaire.

Les actions concrètes mises en place par 46 % des dirigeants d’entreprises interrogés semblent constituer en premier lieu des “actions d’efficacité et d’adaptation des procédés”. Ils n’ont recours qu’en dernier lieu à la compensation carbone, ce qui constitue une bonne nouvelle relevée par l’étude. Cela peut s’expliquer par un souci de réputation et d’image notamment puisque plus d’un dirigeant sur deux interrogé estime en effet que “du greenwashing se cache derrière l’annonce d’un engagement vers la neutralité carbone”. 

Les freins de l’engagement vers la neutralité carbone

De façon générale, le sujet de la neutralité carbone est complexe et freine les dirigeants volontaires dans la mesure où ils peinent à en fournir une définition précise. Le manque de formation et de connaissances sur le sujet génère de l’appréhension et peut empêcher de plus amples engagements sur ce sujet. Les dirigeants interrogés lors de cette étude semblent d’ailleurs reconnaître le manque de maîtrise technique de ce sujet ainsi qu’une difficulté à mobiliser des ressources en interne, autant au niveau humain qu’au niveau financier.  

Selon l’étude, seul un tiers des dirigeants interrogés ont une bonne connaissance des outils de définition et de mesure de leur impact carbone et seuls 17 % des entreprises ont procédé à des analyses d’impact carbone. Pourtant, l’atteinte de la neutralité carbone passe notamment par un bilan carbone permettant de mieux se connaître. 

L’objectif de neutralité carbone pose également la question du périmètre d’actions envisagé. Selon le scope choisi, les émissions indirectes des entreprises ne sont pas forcément prises en compte. Pourtant, peut-on réellement envisager une neutralité carbone à l’échelle d’une entreprise alors même que celle-ci dépend, et impacte, tout un environnement, à commencer par ses fournisseurs. 

Quels leviers mobiliser pour se lancer dans une stratégie de neutralité carbone ?

Plusieurs pistes sont envisagées dans l’étude afin de permettre aux entreprises de s’engager plus facilement vers une neutralité carbone. Tout d’abord, il est important de former les dirigeants et équipes qui n’ont pas suffisamment de connaissances sur le sujet. Puis, en parallèle, de simplifier les démarches administratives.

Dans un second temps, et les dirigeants l’évoquent eux-mêmes à 60 % dans l’étude, il s’agit de simplifier l’accès aux financements pour pouvoir accéder rapidement aux aides et définir un budget plus adapté. Par extension, la mise en place d’une fiscalité plus incitative fait également partie des pistes permettant d’aider les entreprises à sauter le pas. 

De façon générale, les entreprises interrogées se sentent seules et souhaiteraient agir à plusieurs afin de bénéficier d’une dynamique d’intelligence collective. Cette demande de coalition pourrait effectivement permettre aux grandes entreprises, souvent plus avancées car disposant de plus de budget, d’aider les plus petites afin de contribuer efficacement, toutes ensemble, à l’objectif neutralité carbone. De la même façon, la prise en compte de l’ensemble de la chaîne de valeur constitue un passage obligé. 

L’étude “Les dirigeants d’entreprises face à la neutralité carbone : au-delà de la volonté, quelle réalité ?” révèle une prise de conscience certaine de la nécessité de s’engager dans une voie vers la neutralité carbone mais met également en valeur un périmètre d’actions restreint. Pour développer leurs chances d’atteindre l’objectif de neutralité carbone, les entreprises doivent tirer profit des connaissances des unes et des autres en attendant de pouvoir monter en compétences et de disposer de meilleures opportunités financières.