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Le rapport intégré, incarnation mais aussi catalyseur de l’Integrated Thinking ?

Rédigé par La rédaction du C3D, le 12 octobre 2017

Plus de 3 000 sociétés dans le monde sont aujourd’hui engagées dans une démarche d’integrated thinking. En l’espace de deux ans, le nombre de rapports intégrés publiés en France a été multiplié par 4. Le renforcement des aspirations sociétales, les évolutions réglementaires et la prise de conscience des enjeux de performance globale invitent à repenser l’entreprise dans une approche résolument moderne et cohérente, ouverte sur son écosystème.

C’est tout l’objet de l’integrated thinking, qui propose d’appréhender l’entreprise de manière plus globale, plus cohérente et prospective : quelle est la stratégie de création de valeur face aux évolutions attendues de son marché – économiques, sociétales, technologiques, environnementales ? Comment mobiliser toutes les fonctions de l’entreprise pour piloter et mettre en œuvre cette stratégie ? Le constat est partagé, la création de valeur de l’entreprise ne peut plus se mesurer aujourd’hui qu’à l’aune de sa performance financière. Incarnation de la démarche et levier de différentiation, le rapport intégré vise à raconter l’histoire de l’entreprise – son histoire – sur ce chemin de la création de valeur.

La transposition de la Directive européenne sur les informations extra-financières participe de la dynamique en France : en privilégiant la pertinence à l’exhaustivité de l’information, en positionnant le modèle d’affaires et les risques et opportunités comme points d’entrée du reporting, la déclaration de performance extra-financière ouvre la voie au rapport intégré. C’est aussi l’opportunité pour des entreprises françaises longtemps pionnières en matière de RSE – sous l’impulsion conjuguée des lois NRE et Grenelle 2 – de valoriser leur connaissance des parties prenantes et leur antériorité sur le terrain de la performance globale.

CAPITALCOM, le Cliff (Association française des professionnels de la communication financière), Vigeo Eiris, l’IFACI (Institut Français de l’Audit et du Contrôle Internes) et le C3D (Collège des Directeurs du Développement Durable) ont associé leurs expertises pour décrypter ce mouvement de fond vers l’integrated thinking.

La deuxième édition de notre étude, fondée sur une analyse croisée des pratiques et de la perception de la démarche d’intégration, en France et à l’international, met en évidence les interactions entre integrated thinking et rapport intégré : en participant à la formalisation d’un discours plus global – et plus lisible ! – sur l’entreprise, le rapport intégré nourrit l’integrated thinking autant qu’il s’en nourrit. Si l’intégration est toujours en phase expérimentale, son appropriation par les entreprises et les bénéfices apparaissent désormais tangibles.

L’integrated thinking, en phase d’appropriation par les entreprises

Plus de 3 000 entreprises dans le monde sont aujourd’hui engagées dans l’integrated thinking. Si le vocable recouvre une hétérogénéité d’approches et de pratiques, les émetteurs français s’accordent à dire que le mouvement est lancé – avec des niveaux de maturité divers : 35 % jugent la démarche à ses prémices et 28 % la considèrent avancée ou très avancée dans leur entreprise.

Signe des enjeux croissants de l’integrated thinking pour les entreprises, les instances de gouvernance s’emparent désormais du sujet. Illustration de la démarche, l’impulsion des travaux sur le rapport intégré est donnée par le Conseil d’Administration ou de Surveillance et/ou le Comité exécutif dans la majorité des entreprises françaises (55 %). Cette appropriation est à la fois évidente et forte de sens, puisque l’integrated thinking nourrit la réflexion stratégique.

Au-delà du portage du projet, la diffusion de l’integrated thinking se traduit très concrètement par une évolution des pratiques des entreprises, visant à renforcer la pertinence et la cohérence de leur stratégie de création de valeur. Sur les 50 entreprises étudiées au plan international, plus de la moitié identifient les mégatendances pouvant impacter leur marché à moyen et long termes, 45 formalisent leur business model et les 3⁄4 intègrent une dimension de durabilité à leur stratégie. Enfin, un tiers d’entre elles proposent une cartographie des compétences du Conseil d’Administration ou de Surveillance, valorisant ainsi l’alignement des expertises avec les enjeux et la stratégie de l’entreprise.

Le rapport intégré, un projet à forte dimension expérimentale

L’integrated thinking gagne également du terrain dans la communication des entreprises : le rapport intégré a pris bonne place dans le paysage des publications corporate. Plus de 1 500 rapports intégrés sont aujourd’hui recensés dans le monde. En France, leur nombre est passé de 16 en 2016 à 23 en 2017, un chiffre en hausse de plus de 40 % !

Cette progression intervient dans un contexte de repositionnement et souvent de simplification des publications annuelles : le rapport intégré remplace le rapport annuel dans 72 % des entreprises étudiées et le rapport de développement durable dans 68 % des cas. Notons que, si la terminologie « rapport intégré » a pu faire débat, elle semble aujourd’hui pleinement assumée par les entreprises : 66 % des documents étudiés y font explicitement référence dans leur titre (vs. 60 % en 2016).

L’approche globale de l’entreprise sous-tendue par l’integrated thinking trouve écho dans la transversalité croissante de la réalisation du rapport intégré : plus de 55 % des émetteurs français mentionnent le co-pilotage du projet par plusieurs directions (vs. 27 % en 2016). Soulignons l’implication croissante de la communication financière (45 % vs. 36 % en 2016), même si la Direction RSE ou Développement Durable reste motrice du rapport intégré (70 % des émetteurs, en recul de 21 points par rapport à 2016).

Outil de communication certes, le rapport intégré apparaît surtout comme un accélérateur – voire un élément déclencheur – de la démarche d’intégration. Sa réalisation est avant tout guidée par la volonté d’expliquer et de valoriser la stratégie (80 % des émetteurs français exprimés) ou de s’inscrire dans une démarche d’intégration (75 %). En outre, l’utilisation du rapport intégré comme terrain d’expérimentation de l’integrated thinking prend de l’ampleur (40 % des émetteurs exprimés vs. 27 % en 2016). Ce n’est pas tant le niveau d’avancement de la démarche d’intégration que la volonté de s’y engager qui préside à la réalisation d’un rapport intégré.

La dimension empirique du rapport est d’autant plus forte que sa réalisation semble de plus en plus rapide à mettre en œuvre pour les entreprises : elles sont en effet 75 % à avoir initié le projet l’année de sa publication ou un an auparavant (vs. 50 % en 2016).

Une dynamique de progrès, des bénéfices déjà manifestes

Si la performance et la stratégie sont citées par les émetteurs comme les principaux axes de travail de l’integrated thinking, force est de constater que le rapport intégré se focalise encore souvent sur la création de valeur passée. La performance réalisée représente ainsi 46 % en volume des rapports internationaux étudiés (25 % en France), au détriment d’une approche plus prospective ; la valorisation des actifs immatériels – pourtant au cœur de la création de valeur des entreprises – reste encore peu mise en avant.

La connectivité entre les informations – c’est-à-dire la mise en perspective des contenus les uns par rapport aux autres – constitue un autre axe d’amélioration fort : elle apparaît en effet très limitée voire inexistante dans 26 % des rapports intégrés étudiés. Dans un contexte d’homogénéisation croissante tant des éléments de contenu que dans la structure d’un rapport intégré, la connectivité des informations devient cruciale pour valoriser les spécificités de l’entreprise.

Catalyseur de la démarche d’intégration, le rapport intégré se révèle être un exercice perfectible… surtout après la première édition ! D’après les émetteurs, les évolutions de fond – relatives notamment à la présentation du business model et de la stratégie – interviennent en année 2 ; le principal enjeu en année 3 concernerait la pédagogie, à la fois sur le fond (renforcement des commentaires et explications) et sur la forme (ajout d’infographies).

Les bénéfices du rapport intégré sont cependant manifestes dès la première année. Selon les émetteurs, l’amélioration de la compréhension de l’entreprise – en particulier ses leviers de création de valeur et sa stratégie – et de la qualité de l’information constituent les principaux bénéfices pour les collaborateurs et les actionnaires (cités en moyenne par la moitié des émetteurs, vs. un tiers en 2016).

L’utilité du support s’apprécie également au regard de son utilisation : le rapport intégré s’est fait une place de choix parmi les documents examinés par les analystes et investisseurs, étudié par la majorité des investisseurs consultés. Si les communiqués de presse, les résultats et le Document de Référence restent des incontournables, le rapport intégré serait consulté davantage que le rapport annuel et le rapport de développement durable… lorsque ceux-ci continuent d’être publiés.