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Vers de nouveaux modèles économiques ? De la théorie à l’action avec les bâtiments hybrides à économie positive de Bouygues

Rédigé par La rédaction du C3D, le 11 juillet 2016

Suite à un précédent zoom sur la 1ère partie de la Soirée Prospective du 9 juin 2016 organisée par le C3D sur la thématique : « Innovation durable et nouveaux modèles économiques », revenons sur le 2ème temps de la rencontre avec le projet de bâtiments hybrides de nouvelle génération présenté par Fabrice Bonnifet (Président du C3D et directeur Développement Durable du Groupe Bouygues). Dans la continuité de la soirée du 9 juin, ce projet promet d’inventer une nouvelle manière de créer de la valeur en explorant le meilleur des nouveaux modèles économiques. Décryptage de cette approche disruptive et de cette envie de réinventer les villes de demain.

Après les interventions de Denis Guibard (vice-président du Collège des Directeurs du Développement Durable) et Thomas Busutill (membre associé du C3D, Fondateur d’Imagin’able et co-dirigeant d’Utopies), c’est au tour de Fabrice Bonnifet de prendre la parole.  Son objectif : exposer un exemple de mise en œuvre de certains préceptes des nouveaux modèles économiques à travers le concept de « bâtiment hybride à économie positive ».

Une méthodologie de co-création et d’innovation participative

« Avant de produire des résultats, la méthode même de création et d’élaboration de nouvelles solutions s’est voulue innovante en constituant une communauté de 50 personnes de tous âge et de tous profils et en s’appuyant sur des outils de l’open innovation utilisés généralement dans l’univers des start-up.  » Fabrice Bonnifet

Pour tenter d’inventer une nouvelle approche du bâtiment, de se réinventer en remettant en cause les dogmes traditionnels, le parti-pris de Bouygues a été d’innover jusque dans la façon de travailler et de concevoir collectivement le futur produit. De nouvelles méthodes de co-création et d’innovation participative ont ainsi été expérimentées, en rassemblant des profils très différents (âge, métier, etc.) et en croisant leurs regards.

Lors de ces sessions, Bouygues est parti du constat que les bâtiments ne sont pas utilisés à leur plein potentiel. De ce fait : comment faire en sorte que ces nouveaux bâtiments puissent générer davantage d’externalités positives et comment les concevoir pour qu’ils deviennent plus « contributifs » ?

D’une démarche HQE à une démarche HQU (Haute Qualité d’Usage)

« Pour ces bâtiments de nouvelle génération, il faut passer d’un logique de performance essentiellement matérielle associée à la maîtrise des consommations, à une performance immatérielle comme par exemple la génération effective de bien-être. » Fabrice Bonnifet

Aujourd’hui, techniquement, les entreprises de BTP savent faire des bâtiments extrêmement performants en matière de gestion énergétique notamment. Au stade suivant, les bâtiments deviendront pleinement hybrides combinant l’auto-production des flux nécessaires à leur fonctionnement et la possibilité d’une reconfiguration temps réel pour augmenter l’amplitude de leur utilisation. En optimisant l’usage des bâtiments, l’idée est de partager les espaces fonctionnels entre différentes catégories d’usagers.

En termes de mobilité, de nouvelles offres d’autopartage sont intégrées afin de réduire le parc de véhicules, en privilégiant les motorisations électriques ou hybrides et en proposant un mode de locomotion adapté au trajet et à la distance à parcourir.

Le bâtiment hybride se veut multi-mode, l’exemple des parkings servant la journée à des salariés d’entreprises, puis la nuit et les jours fériés à des particuliers est une réflexion de bon sens qui ne demande qu’à se développer dans les quartiers mixtes des villes. Même approche « hybride » dans la conception des bâtiments sur les temps longs. En effet, ceux-ci devront être modulables et pouvoir passer d’espaces de bureaux, à des logements, pour évoluer ensuite vers des commerces.

Pour organiser cette optimisation de l’usage jusque-là inexploitée, Bouygues s’est inspiré du yield management mis en œuvre par les compagnies aériennes, en partant du principe qu’une compagnie ne gagne de l’argent que lorsque ses avions volent et qu’ils sont plein. Il en est de même pour les bâtiments. Le but ultime est donc de tendre vers un ratio d’usage maximum alors qu’aujourd’hui celui des bâtiments tertiaires peinent à dépasser 30% ce qui représente un gâchis gigantesque.

Le bâtiment comme banque de matériaux

Autre originalité issue des réflexions collectives, il va s’agir de faire du bâtiment une véritable banque de matériaux, l’immeuble étant conçu dès le départ comme un ensemble de « briques élémentaires » ré-employables à l’infini.

In fine, l’idée est de faire du bâtiment un centre de profit, à la fois par l’énergie qu’il va produire et qui pourra être revendue à ses voisins, mais aussi lors de sa reconfiguration ou sa démolition, pour récupérer, revendre ou réutiliser ailleurs ses matériaux constitutifs. Dans ces bâtiments, tout est pensé pour réutiliser au maximum tout ce qui peut l’être. Par exemple, la récupération des eaux de pluie et des eaux grises permettra d’alimenter un réseau secondaire, pour les chasses d’eau ou le nettoyage et l’arrosage.

Ce genre d’approche existe déjà aux Pays-Bas et commence à émerger en Belgique. Bouygues souhaite aller encore plus loin en dissociant l’usage du bâtiment qui est vendu au client, des matériaux qui pourront rester la propriété d’organismes spécialisés voire de fonds d’investissements. Et pour pouvoir gérer ces millions de futurs éléments et matériaux, c’est le numérique qui apporte les solutions permettant de gérer cette complexité.

« Le numérique va permettre de gérer la traçabilité des éléments constitutifs des bâtiments en facilitant ainsi le principe de l’économie circulaire. » Fabrice Bonnifet

Fabrice Bonnifet

De la phase de projet à la phase opérationnelle

Les projets et concepts élaborés lors des ateliers ont été présentés à un Action Tank interne qui a autorisé le passage à une phase opérationnelle. Les projets ont été présentés comme « ready to business » et se voulaient de vraies offres crédibles et économiquement viables, s’appuyant sur un business model cohérent, en proposant de gagner de l’argent sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment hybride, de sa construction à sa démolition.

Pour s’assurer de l’intérêt et de la viabilité de telles offres, Bouygues est allé interroger certains de ses clients, ce qui a confirmé qu’il existait bien un marché pour ces bâtiments hybrides.

« En l’espace de 10 mois, entre le 1er atelier organisé en août 2015 et aujourd’hui, nous sommes passés d’un concept à une réalité commerciale crédible. » Fabrice Bonnifet